COHA in the Public ArenaMexico

Les «narcos» messianiques terrorisent le Mexique

July 27, 2009
By Lamia Oualalou
Le Figaro

Le cartel de «La Familia» est l’une des principales organisations criminelles impliquées dans la guerre de la drogue qui a coûté la vie à près de 11 000 personnes depuis fin 2006.

La scène se passe dans un bar de la petite ville d’Uruapan, dans l’État du Michoacan, sur la côte pacifique du Mexique. Ce 6 septembre 2006, vingt hommes masqués surgissent au milieu des clients, tirent des coups de feu en l’air avant de jeter sur la piste de danse cinq têtes de morts. En partant, ils laissent un message, sur une petite carte : «“La Famille” ne tue pas pour l’argent. Elle ne tue pas les femmes. Elle ne tue pas les innocents, seulement ceux qui méritent de mourir. C’est la justice divine.»

«La Familia» n’était jusqu’alors qu’une branche des Zetas, le «cartel du Golfe». Son coup d’éclat en fait une célébrité. Tortures, décapitations et discours religieux font la marque de ce gang. Une image relayée avec efficacité par une audacieuse politique médiatique : intervention à la télévision, achat de pages de publicité dans les journaux, et sites Internet.

En dépit du discours justicier, qui consiste à se présenter comme une milice qui combat les cartels de trafiquants de drogue, «La Familia» a vite égalé ces derniers. Elle est accusée d’enlèvements contre rançon, extorsion d’activités économiques légales ou illégales (appelée «protection»), tueurs à gages, trafic de cocaïne, de marijuana et de drogues synthétiques.

Sa capacité de mobilisation impressionne. La semaine dernière, «La Familia» a riposté à l’arrestation d’un de ses chefs, Arnoldo Rueda, en assassinant une vingtaine de policiers fédéraux. On a retrouvé les cadavres de douze d’entre eux empilés sur le bord de la route.

Depuis son élection contestée et obtenue à l’arrachée en 2006, le président mexicain Felipe Calderon a déployé plus de 45 000 membres des forces de l’ordre dans le pays, en commençant par le Michoacan, son État natal. «Tout comme George Bush avec le 11 Septembre, Calderon a fait de la guerre contre la drogue l’axe de sa politique, une façon de gagner la légitimité que les urnes ne lui ont pas donné», analyse Luis Navarro.

Corruption généralisée
Mais cette guerre donne des signes d’enlisement. Les batailles entre les gangs ont provoqué 2 275 morts en 2007, 5 630 en 2008. À la mi-juin, le quotidien El Universal en décomptait 3 050 pour cette année, dénotant une nouvelle accélération. «Calderon s’est mis en tête de vaincre les cartels sur le terrain militaire, sans que ce soit accompagné d’un programme social et de développement pour ces zones dites “libérées”», confie Alejandro Sanchez, analyste au Council on Hemispheric Affairs, un institut basé à Washington. Sur ces terres rurales dévastées depuis la signature du traité de libre-échange avec Washington, qui a facilité l’entrée des produits agricoles américains subventionnés, les jeunes ont pour toute perspective le choix entre émigrer illégalement aux États-Unis, ou s’enrôler dans les cartels de la drogue.

«Cet effort militaire est d’autant plus vain quand on considère la quantité de bandes criminelles : quand le gouvernement en finit avec la prédominance d’un cartel, le vide est rapidement rempli par d’autres», poursuit Alejandro Sanchez. Si l’on parle beaucoup de «La Familia» ces derniers jours, les autres cartels, comme les frères Beltran Leyva et le Sinaloa, sont toujours actifs.

Chacun de leur côté, ces cartels ont corrompu tous les niveaux de gouvernement. Selon des rapports des services de renseignements cités par le quotidien La Jornada, quelque 62 % des membres de la police seraient contrôlés par les cartels.

Les enveloppes peuvent être généreuses : le commandant de police Javier Herrera Valles vient d’être accusé de toucher 35 000 dollars tous les quinze jours pour protéger un groupe criminel dans l’État du Tamaulipas. Une bagatelle à l’échelle des quelque 25 milliards de dollars générés annuellement par le trafic.

«Un état d’exception»
La gangrène est encore plus visible au niveau local. Selon Edgardo Buscaglia, consultant pour le compte de l’ONU au Mexique, «entre 50 et 60 % des municipalités mexicaines sont contrôlées ou féodalisées par le narcotrafic».

Le gouvernement a promis une opération de nettoyage. Elle a abouti fin mai à l’arrestation de plusieurs fonctionnaires dans le Michoacan. «C’est un nettoyage tout relatif, qui n’a pas atteint les hautes sphères du gouvernement», critique Alejandro Sanchez.

Sans résultat probant, cette militarisation commence à faire douter la Maison-Blanche. De nombreuses voix dénoncent les violations des droits de l’homme auxquelles elle donne lieu. «L’armée met en place des couvre-feux, des inspections, et occupe les commissariats. Dans certaines régions comme Ciudad Juárez et Chihuahua, on vit dans un état d’exception qui n’a pas été décrété par le Congrès», précise Luis Navarro.

Il alerte sur le fait que la quantité exceptionnelle d’assassinat permet tous les règlements de compte : «Dans le macabre décompte, on ne remarque même plus l’assassinat des leaders de mouvements sociaux. Peu à peu, la protestation sociale est aussi criminalisée», conclut-il. La presse paye également un lourd tribut : 17 journalistes ont été assassinés depuis le début 2008, faisant du Mexique l’un des pays les plus dangereux pour la profession.