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De victor Jara à Guantanamo: la même CIA

Published by Agora Vox
December 16, 2009

De tout cela, il ressort que la CIA a œuvré quasiment partout dans le monde. Avec une facilité déconcertante pendant des années, car elle disposait d’une arme imparable car invisible. Oh, ce n’est ni un bel avion “stealth”, ni des ordinateurs cachés au fond des réseaux mondiaux, ni le recours à une équipe de mercenaires couleur passe-muraille. Non, ce sont des cartons, fixés la plupart du temps sur des palettes, ou des sacs de blé ou de riz. Déposés par une… association d’entraide, une sorte d’ONG, ce à quoi on ne s’attendait pas vraiment. Une “ONG” (“Organisation Non Gouvernementale”) un peu spéciale… car elle est…bien gouvernementale celle-là, justement. USAID, le meilleur paravent d’activités d’espionnage qu’ait pu inventer la CIA, et un phénomène gravissime, car son existence a elle seule sème le doute sur toutes les autres organisations humanitaires dans le monde, régulièrement accusées de servir de plastron à une action étrangère. USAID est une plaie véritable, n’ayons pas peur des mots, car elle s’est retrouvée mêlée ces dernières années à toutes les entreprises de déstabilisation de pays. Les derniers en date étant le Vénézuela, le Honduras et la Georgie. En Irak et en Afghanistan elle est aussi bien présente, ce qui explique qu’il n’y a pas si longtemps encore le staff de Barack Obama n’avait toujours pas nommé son nouveau responsable, et ce plusieurs mois après son élection (depuis, il a choisi le 11 novembre dernier Rajiv Shah). Trop liée à la CIA, l’organisation humanitaire requiert en effet un homme sûr, appliquant les directives gouvernementales de discrétion sur les opérations qu’elle masque et rien d’autre. La perle rare a mis du temps a être recrutée par la nouvelle administration. Ce qui est bien symptomatique des difficultés actuelles de la CIA. Et de ses déguisements habituels. Rajiv Shah, l’heureux nouvel élu, provenant lui de la Bill & Melinda Gates Foundation… on ne pouvait mieux choisir : Microsoft, sous Bush, à touché 65 millions de dollars pour loger des pointeurs au sein de son système d’exploitation, au nom du Homeland Security… pas vraiment une réussite, à vrai dire.

En fait, l’histoire des liens entre la CIA et USAID ne date pas d’hier : déjà, au Viet-Nam, lors de l’opération Phoenix, c’était la firme humanitaire qui apportait le matériel nécessaire aux tortionnaires, (*1) et ceux nécessaires pour découvrir et ficher les supporters des Viet-Congs, notamment des radios émettrices-réceptrices des ordinateurs à cartes perforées. L’agence avait été créée quelques années auparavant, le 3 novembre 1961, par un décret présidentiel signé par John Kennedy. Elle faisait suite à la création par un décret‑loi de mars 1961 du Peace Corps, un organisme mettant à disposition des agents humanitaires des jeunes américains désireux de s’engager dans le domaine. Kennedy avait requis et exigé que ces derniers ne devaient en aucun cas être mêlés à la vie politique locale ou à la CIA, mais son beau-frère, Sargent Shriver Jr, nommé responsable du mouvement, n’avait pu assurer l’étanchéité totale avec les intrusions gouvernementales. Le livre fondamental de Wise et Ross de 1974 évoque cette période avec brio dans son chapitre “Purity in the Peace Corps”. (le livre est téléchargeable intégralement, profitez-en !) Finalement, Shriver échouera : chez le Peace Corps, la CIA fera aussi tranquillement son nid (*2). Les espions, on les prend parfois au berceau.

Plus tard, sous Donald Reagan un autre organisme est venu épauler USAID : la “National Endowment for Democracy” (NED, la “Fondation nationale pour la démocratie”), créé le 6 novembre 1982, qui se chargera d’aider spécialement les syndicats ou les partis politiques. C’est elle qui fait la promotion, par exemple, de l’usage du vote électronique dans les pays visés, système de vote dont on connaît les détournements possibles, via un autre organisme tout aussi tortueux, celui de l’IFES. En ce sens, le doublement en 2004 de son budget par G.W.Bush est très significatif : après avoir volé l’élection du pays, on a exporté le modèle, notamment en Georgie. “Or comment fonctionne l’IFES et qui la soutient financièrement ? Est-elle une association indépendante ? La réponse est simple : pas du tout ! Si on regarde la provenance de ses fonds, on est assez vite éclairé : en tout premier… le gouvernement américain, et le Département d’Etat directement, dont la responsable affiche son sourire inimitable sur le site : c’est Condolezza Rice. Mais aussi le secrétariat aux élections de la Virginie… dont une élection récente en 2006 a démontré que ce n’était pas vraiment l’Etat à montrer en exemple à l’étranger. ”

L’histoire de la NED peut se résumer à ces responsables, tous liés de près ou de loin à la CIA : Otto Reich, John Negroponte, Henry Cisneros et Elliot Abrams. En 2002, Bush nommera Reich, un cubain fils de déportés autrichiens morts en camp de consécration, ancien Secrétaire d’Etat pour l’Hémisphère Sud, à la tête de la NED. Reich ayant lui-même dirigé USAID de 1981 à 1983. Negroponte a un lourd passé de responsable de coups douteux en Amérique du Sud, notamment, avant de devenir administrateur de l’Irak ou de jouer les intermédiaires au Pakistan auprès de Pervez Musharraf, pour veiller à la mise en œuvre discrète des fameux drones Predator. Cisneros est l’ancien maire hispanique de San Antonio, un démocrate dont la carrière a été ruinée par une histoire de maîtresse, pardonné en 2001 par Bill Clinton. Enfin, le sommet sera atteint en la personne d’Elliot Abrams, qui a été lui mouillé jusqu’au coup dans l’histoire des contras en 1991, alors qu’il avait démarré sa carrière comme “Assistant Secretary of State for Human Rights and Humanitarian Affairs” sous Reagan. Son règne à ce poste et à la tête de la NED s’est soldé par une suite ininterrompue de clashs avec les associations humanitaires, Abrams ayant passé son temps à couvrir les pires exactions reaganiennes, notamment au Salvador, au Honduras, au Guatemala et au Nicaragua. Aucun nommé au poste de responsable de la NED, à part peut-être Cisteros sous Clinton, n’a échappé à des liens étroits avec la CIA et ses actions douteuses d’ingérence politique dans les pays où l’organisation intervenait.

La NED est en fait une entreprise privée et non gouvernementale, mais ses liens avec le pouvoir en place sont tels que ce n’est qu’une façade. Sous Bush, son budget est devenu exponentiel, passant de 40 à plus de 100 millions de dollars en 2008. Depuis janvier 2009, l’agence est dirigée par le démocrate Richard Gephardt, qui fut un temps le possible second d’Al Gore en candidat-président, avant de devenir le supporter d’Hillary Clinton et non d’Obama. A peine nommé, Barrack Obama a bel et bine fait le ménage, en éjectant surtout Abrams, surnommé par Newsweek”le dernier neocon a être encore debout”. Abrams, pendant sa carrière marquée par des décisions de l’homme de droite dure qu’il a toujours été, avait, entre autre, refilé argent et armes au Fatah afin de tenter d’enrayer la montée du Hamas. C’est tout ce qu’il avait trouvé d’intelligent à faire : distribuer des Kalachnikovs au milieu d’une poudrière !

Le projet d’Abrams ne tenait pas debout, et surtout disséminait les armes à un endroit du monde où il ne devait certainement pas en avoir davantage. “Durant l’année écoulée (en 2007), les Etats-Unis ont fourni des armes, des munitions et un entraînement aux activistes du Fatah palestinien en vue de sa prise de contrôle des rues de Gaza et de Cisjordanie sur les partisans du Hamas. Un grand nombre d’activistes du Fatah ont ainsi été formés dans deux camps (un à Ramallah, l’autre à Jéricho), dont ils sont sortis “diplômés”. Les fournitures d’armes et de munitions, qui ont commencé par un simple goutte-à-goutte, s’assimilent plutôt aujourd’hui à un torrent (Haaretz écrit que les Etats-Unis ont budgété la somme astronomique de 86,4 millions de dollars pour la seule sécurité d’Abou Mazen (alias Mahmoud Abbâs, ndt)”. Au sein même de la CIA, certains y étaient opposés. Après quoi, le président donna son feu vert au programme, dans un « relevé de conclusion » de la CIA, et il stipula que la réalisation en soit supervisée par Langley (c’est le siège de la CIA, ndt). Mais le programme a rencontré des problèmes, dès le début. “La CIA n’aime pas ça, et elle pense que ça ne marchera pas”, nous a-t-on indiqué, en octobre dernier. “Ce truc sortait par les yeux du Pentagone, l’ambassade américaine en Israël l’avait en horreur, et les Israéliens y étaient tout à fait opposés”. Un éminent responsable militaire américain en poste en Israël l’a qualifié de “stupide” et de “contreproductif”. Mais le programme s’est poursuivi, en dépit de ces critiques, même si la responsabilité de sa réalisation a été mise entre les mains de responsables de la lutte anti-terroriste travaillant étroitement avec le Département d’Etat”. Faire pire que les faucons israéliens, voilà quel était donc le projet d’Abrams ! Jamais homme n’avait autant jeté d’huile sur le feu au Proche-Orient ! Et c’était celui nommé à la tête de la “Fondation nationale pour la démocratie” !!! Drôle de vision de la démocratie !

En Amérique du Sud, c’est une évidence, USAID a servi les intérêts américains en premier, notamment au Venezuela, où l’ineffable Chavez a eu la partie facile pour démontrer les nombreuses intrusions de la CIA via le canal de l’organisation humanitaire. Sans avoir à forcer, le président vénézuélien a dressé un tableau assez apocalyptique de cette intrusion perpétuelle dans les affaires du pays. Selon des observateurs, c’est l’ Office of Transition Initiatives” (OTI) qui a versé la bagatelle de 26 millions de dollars pour financer des entreprises de déstabilisation du pays, notamment en finançant les partis ou mouvements d’opposition (*4) . Ceci en liaison avec la “Development Alternatives Inc” (ou DAI) “Parmi les dons mentionnés on trouve : 47 459 dollars pour une “campagne pour un leadership démocratique” ; 37 614 dollars pour des réunions de citoyens afin d’aborder leur “vision commune” de la société, et 56 124 dollars pour analyser la nouvelle constitution Vénézuelienne.“Ceci indique qu’il y a beaucoup d’argent, et une grande volonté à renverser ou neutraliser Chavez,” a déclaré Larry Birns, directeur du Conseil des Affaires Hémisphériques (Council on Hemispheric Affairs COHA) hier à Washington”. La conclusion de Birns était claire : “Les Etats-Unis livrent une guerre diplomatique contre le Venezuela.” Pour y arriver encore mieux, USAID a créé avec l’aide de la NED une organisation-paravent locale, intitulée “Súmate” (qui signifie “Rejoins-nous” !), dirigée par Maria Corina Machado, entièrement payée par les deux organismes, pour servir de relais direct aux idées américaines sur la direction du pays. “La crédibilité du groupe à travers le Venezuela s’en trouva amoindri après qu’il fut révélé que le National Endowment for Democracy, financé par le département d’État des États-Unis d’Amérique, lui avait attribué 53 400 dollars pour l’« enseignement de la démocratie ».” La signature de Machado sur un bout de papier partisan de l’existence d’une junte “de transition” à la place d’un Chavez élu, révélée par la presse, a sévèrement entaché son engagement qui se voulait soi-disant a-politique et a signé la fin de ses espérances, en fait. L’explication donnée par Machado comme quoi “elle avait signé un papier sans savoir ce qu’il y avait dessus” à été pitoyable. Elle était effectivement prête à soutenir un coup d’état dans le pays ! L’action menée par Machado au nom de la liberté n’est autre qu’une resucée complète de celle des anti-Sandinistes et de leur fameux front “démocratique” Via Civica, qui s’attaquait en priorité à l’éducation… téléguidé par la NED, USAID… et la CIA ! Sumate, c’est tout simplement un Via Civica bis ! Toujours les mêmes vieilles recettes.

Toujours les mêmes en effet : un superbe mémo intercepté, rédigé le 20 novembre 2007, par Michael Middleton Steere, le responsable de la CIA à l’ambassade des États-Unis au Venezuela, et ayant pour destinataire Michael Hayden, son patron à la CIA, avait mis au parfum tout le monde sur les méthodes de déstabilisation tentées ou à mettre en place.. Les consignes données ce jour-là par Middleton Steere étaient très claires sinon limpides : “selon l’auteur, il faut continuer à renforcer les activités qui visent à empêcher la tenue du référendum tout en préparant en même temps les conditions pour en contester les résultats. Sur ce dernier point, il est important de créer dans l’opinion publique le fait que le NON est en nette avance sur le OUI et qu’il est assuré de la victoire. C’est en ce sens qu’il faut continuer à travailler avec les maisons de sondage contractées par la CIA.. Il faut discréditer autant faire se peut le Conseil national électoral (CNE) de manière à créer dans l’opinion publique la sensation de fraude.” De la contestation, on passe rapidement à la révolte en passant par la case médias, froidement manipulés :” Il faut commencer à donner de l’information sur les résultats du vote dans les premières heures de l’après-midi, utilisant les sondages préliminaires déjà disponibles Telle que planifiée, cette opération requière une coordination avec les médias de communication au niveau international. L’implantation sur le territoire national de groupes de protestation préparant au soulèvement d’une partie substantielle de la population”… tout était prévu ! Même les projets d’assassinat, façon tentatives contre Castro, qui a échappé à des dizaines de tentative, comme ceux que racontera en 2005 Felix Rodriguez, ancien agent…. de la CIA. De quoi raccrocher ici nos propres wagons, et en revenir à cet épisode.

Après le Vénézuela, c’est la Bolivie qui est l’objet de toutes les attentions d’USAID, comme par hasard (*3). Là, l’accent a porté sur l’aide.. à l’autonomie d’une région, entièrement manipulée par les extrémistes nostalgiques d’Hitler comme nous avons déjà pu le préciser dans un autre épisode. 97 millions de dollars ont été ainsi attribués à l’aide à la “décentralisation” bolivienne, en fait une aide financière directe à un mouvement purement séparatiste, où l’extrême droite est largement majoritaire ! En Bolivie, l’Office for Transition Initiatives (OTI) s’est appuyée sur un organisme privé, Casals & Associates, à la place de la DAI Vénézuélienne, qui s’est beaucoup démené pour mettre en place des “séminaires” et autres “réunions” prônant en fait le séparatisme. “En résumé, Casals & Associates, Inc, a réparti en plus de trois ans d’opérations en Bolivie, 18,8 millions de dollars à plus de 450 organisations. Les organisations bénéficiaires de cet argent de l’USAID ont travaillé avec la tâche de combattre les initiatives de l’Assemblée Constituante, promouvoir le séparatisme ou dans les régions de Santa Cruz et Cochabamba, influer sur les communautés indigènes et saper l’appui de celles-ci au gouvernement de Evo Morales. Certains projets ont été consacrés à la diffusion d’information pour créer dans l’esprit de la population une image négative de Evo, de la situation du pays et la direction révolutionnaire qu’il a lui-même impulsé. En Bolivie, USAID a en effet aussi promu le recours au mouvement indigène, qu’elle a tenté de manipuler, comme le démontre un document secret découvert en mai 2009 grâce aux investigations d’Eva Golinger et Jeremy Bigwood, agissant au nom du Freedom of Information Act (FOIA).

L’Amérique du Sud (sujet extrêmement sensible depuis des lustres pour les américains) en a vu défiler des cartons d’USAID. Avec toujours derrière une forte suspicion de porteur en forme d’espion plus ou moins déguisé. Il n’y a pas que cette partie du monde qui a été touchée par le phénomène, mais cela nous le verrons demain si vous le voulez bien.

(1) “USAID has worked closely with the CIA in the past, both in Southeast Asia and in Latin America. During the Vietnam War, for example, USAID worked together with the CIA in “Operation Phoenix,” where it was “responsible for material aid.” The operation was responsible for the assassination of thousands”.

(2) “Pendant la campagne de 1960, John F. Kennedy avait promis, s’il était élu, d’instituer un corps de jeunes Américains envoyés dans les pays sous‑développés pour y apporter une aide désintéressée. Il tint parole. Par un décret‑loi de mars 1961 il créa le Peace Corps et demanda à son beau‑frère, Sargent Shriver Jr, de le diriger. Shriver accepta, mais il ne tarda pas à comprendre qu’un tel organisme, avec ses milliers de jeunes volontaires répartis à la surface du globe, pourrait bien avoir l’air d’une « couverture » idéale pour un service de renseignement à l’affût de la moindre occasion de se camoufler. En outre, Shriver savait que le Peace Corps, étant donné qu’il offrirait une aide authentique et sincère aux nouvelles nations du monde, serait une cible non moins tentante pour la propagande communiste qui ne manquerait pas de le discréditer.En conséquence, il proclama en privé sa détermination de faire tout son possible pour immuniser le Corps des volontaires pour la Paix contre tout ce qui, de près ou de loin, pourrait dégager un fumet d’espionnage. Il se doutait bien que si un seul volontaire était impliqué dans une affaire pareille, c’en serait fini du corps tout entier.”

(3) “Six years after their first assignment for USAID, in which they were hired to help develop women in Bolivia, CAII had become a multi-million dollar operation. Today, they have offices in 11 countries. Among other contracts for USAID, CAII provided civilian re-training for the Contras, supplied “media assistance and civic education” in Haiti, and are currently in the process of executing a $157 million contract to revitalize the Iraqi education system. A probe involving irregularities in this last contract led Sen. Joe Lieberman to arrive at “the inescapable conclusion is that there was essentially no competitive bidding at all.”

(4) “Recently declassified documents obtained by investigators Eva Golinger and Jeremy Bigwood reveal that the US Agency for International Development (USAID) has invested more than $97 million in “decentralization” and “regional autonomy” projects and opposition political parties in Bolivia since 2002. The documents, requested under the Freedom of Information Act (FOIA), evidence that USAID in Bolivia was the “first donor to support departmental governments” and “decentralization programs” in the country, proving that the US agency has been one of the principal funders and fomentors of the separatist projects promoted by regional governments in Eastern Bolivia”.