De Guantanamo à l’Illinois, quelle place pour la justice ?
La Tribune Online
By Louisa Aït Hamadouche
Algeria
December 21, 2009
Entre solution et fuite en avant
Il a, toutefois, souligné que la guerre doit être menée en suivant «des règles de conduite» qui «nous distinguent de ceux que nous combattons» et permettent à l’Occident de défendre ses valeurs. Bush avait exprimé à huit reprises son désir de fermer Guantanamo. Concrètement, comment Obama respecte-t-il ces règles ? La gestion Obama de la controverse Guantanamo sera-t-elle l’illustration de cette guerre menée selon les règles du Droit et non celles de la raison d’Etat ?
De Guantanamo à l’Illinois
La prison devait être purement et simplement fermée pour mettre fin à huit ans de traitement scandaleux des prisonniers issus de la guerre en Afghanistan. Qu’en est-il ? Après des mois de tergiversations, la décision qui vient de tomber consiste à déplacer la prison et la rapatrier dans l’Illinois et plus précisément dans la prison de Thomson. Une partie de la prison sera gérée par le ministère de la Justice, l’autre par le département de la Défense. Certains détenus, dont le Canadien Omar Khadr, y auront un procès devant un tribunal militaire d’exception conçu pour juger les «crimes de guerre». D’autres pourraient y rester enfermés indéfiniment, au grand dam des groupes de défense des libertés.
Les restrictions imposées dans les prisons fédérales à sécurité maximale, sont extrêmement sévères. Les prisonniers sont soumis à un strict régime d’isolement, souvent enfermés vingt-trois heures par jour dans des cellules dotées pour tout mobilier d’un lit en béton. En cas de bonne conduite, on les autorise à se dégourdir les jambes une heure par jour dans une cour minuscule. Ils n’ont pas ou peu de contacts humains en dehors du personnel pénitentiaire. Le Comité international de la Croix-Rouge, seul organisme disposant d’un droit d’accès au Camp 7, ne pourrait plus les rencontrer. La prison de Florence, dotée de 490 places, abrite quelques-uns des criminels les plus endurcis du pays, parmi lesquels le Français Zacarias Moussaoui, Ramzi Yousef, condamné après le premier attentat contre le World Trade Center en 1993, ou encore Theodore J. Kaczynski, dit «Unabomber». Pour l’American Civil Liberties Union (ACLU), principale association américaine de défense des libertés civiles, l’objectif prioritaire n’est pas tant la fermeture de Guantanamo, que d’obtenir que les détenus soient jugés devant un tribunal fédéral. «Les protections sont bien plus grandes dans le système fédéral. L’absence de tout fondement juridique à Guantanamo en fait un trou plus noir encore que la prison de Florence», souligne Anthony D. Romero, directeur de l’ACLU.
Les retards pris dans cet engagement s’inscrivent globalement dans le cadre des promesses formulées dans un délai déterminé et non respectées. Lorsqu’il a pris ses fonctions, le 20 janvier 2009, le chef de l’Etat a exigé que le Congrès adopte une réforme du système de santé avant le mois d’août. Le Congrès ne l’a pas fait dans les temps. Dans l’absolu, quelle est la fonction des dates butoirs ? John Dickerson parle, sur le plan tactique, du délai comme d’une dynamique favorable à celui qui le fixe. «Celui qui établit le délai limite les options de celui qui doit s’y conformer, tout en le pressant de faire un choix.» Les délais sont également utiles pour évaluer le prestige et la crédibilité de celui qui prend des décisions en les limitant dans un délai déterminé. Dans le cas de la fermeture de la prison, l’administration américaine a fait de mauvais calculs. En premier, elle a cru que le Congrès allait suivre comme un seul homme. Or, il a refusé de financer la fermeture de Guantanamo. Les sénateurs ont succombé aux pressions exercées par les républicains, évoquant les risques inhérents au transfert de prisonniers sur le territoire américain. En deuxième lieu, l’opinion publique, à l’instar du Congrès, n’a pas apporté à l’administration le soutien auquel elle s’attendait et ce, pour les mêmes raisons. Troisièmement, la mobilisation de la campagne est retombée comme un soufflé, montrant qu’il n’existait pas de réel consensus. «Obama a pris ses fonctions en croyant bénéficier d’un large soutien au niveau national et international en faveur de la fermeture de Guantanamo. Il avait raison dans l’ensemble… Mais certains n’étaient pas prêts à accepter les coûts et les risques d’une telle décision», résume Matthew Waxman, professeur de droit à Columbia.
Que faire des prisonniers ?
Sur les 210 détenus qui se trouvent toujours à Guantanamo, 116 seront relâchés, rapatriés dans leur pays d’origine ou accueillis par un pays tiers, 5 seront jugés à New York, et les autres devraient vraisemblablement partir pour l’Illinois, soit une centaine. En octobre 2009, l’administration Obama n’avait transféré que 17 prisonniers vers d’autres pays, alors que l’administration Bush en avait renvoyé 19 au cours des neuf premiers mois de 2008.
L’administration de George W. Bush a formellement inculpé une vingtaine de détenus, affirmant que l’objectif était d’en traduire entre 60 et 80 devant des tribunaux militaires d’exception. De son côté, l’administration Obama a, jusqu’ici, décidé d’en renvoyer 6 devant un tribunal fédéral à New York, dont les 5 hommes accusés d’avoir organisé le 11-septembre et le Tanzanien Ahmed al Ghailani accusé d’avoir participé aux attentats contre les ambassades américaines en Afrique en 1998, ainsi que 5 devant un tribunal militaire d’exception. Un autre groupe de 60 détenus avait été déclaré libérable par l’administration Bush, qui ne parvenait, cependant, pas à trouver de pays tiers pour ceux qui craignaient des persécutions dans leur pays d’origine.
L’administration Obama a réexaminé la totalité des dossiers, 116 ont été déclarés libérables et 30 autres l’ont été effectivement, dont un tiers vers leur pays d’origine. Parallèlement, en juin 2008, la Cour suprême a autorisé les détenus de Guantanamo à contester leur détention au civil, devant la justice fédérale de Washington. Les audiences ont jusqu’ici donné lieu à 39 décisions, dont 31 en faveur de la libération du détenu.
Parmi les 30 détenus sortis de Guantanamo, 18 avaient gagné en justice. La situation des sept Chinois ouïghours à qui les Etats-Unis ont le plus grand mal à trouver un pays d’accueil est devant la Cour suprême. La plus haute juridiction doit dire au printemps s’ils peuvent être libérés sur le sol américain, ce qui constituerait une première. Ceux des détenus qui ne pourront être traduits en justice faute de preuves matérielles suffisantes, mais qui sont néanmoins jugés trop dangereux pour être libérés, verront leur avenir tranché au civil par un tribunal fédéral. L’administration Obama a promis de se conformer aux décisions de la justice et qu’un réexamen de leur situation serait effectué tous les six mois. La Cour suprême des Etats-Unis doit examiner en février ou mars 2010 la possibilité pour des détenus de Guantanamo blanchis de tout soupçon de terrorisme d’être libérés sur le sol américain.
Toujours sur le même sujet, la Cour suprême des Etats-Unis a refusé de se saisir de la plainte déposée par quatre anciens détenus britanniques de Guantanamo contre Donald Rumsfeld. Ceux-ci affirment que les tortures et humiliations religieuses dont ils ont été victimes relevaient de la responsabilité du chef du Pentagone. Enfermés entre janvier 2002 et mars 2004, les quatre détenus demandaient que soit reconnue la responsabilité de l’ancien secrétaire à la Défense et de plusieurs hauts responsables militaires dans les mauvais traitements qu’ils ont subis à Guantanamo. En décembre 2008, les neuf sages avaient renvoyé la requête des quatre hommes devant une cour d’appel qui avait, une première fois, rejeté leur plainte. La Cour suprême arguait que ce tribunal devait reconsidérer sa position à la lumière d’une décision qu’elle avait prise en 2008 de donner aux détenus de Guantanamo certains droits constitutionnels. Mais la cour d’appel a confirmé que les hauts responsables politiques et militaires bénéficiaient de l’immunité.
Pour ces ex-prisonniers, la plus haute juridiction des Etats-Unis devait reconnaître qu’ils avaient «un droit constitutionnel de ne pas être torturés», même si à l’époque le fait que les militaires n’aient pas le droit de les maltraiter n’était «pas clairement établi». De son côté, l’administration Obama a, au contraire, argué que la décision de l’institution en 2008 n’était pas rétroactive.
Que faire de Guantanamo bay ?
Construite en 1903, la base navale de la baie de Guantanamo est la plus ancienne base américaine à l’étranger à être toujours en activité. Bâtie sur des terres louées à Cuba par les Etats-Unis en échange du retrait des troupes américaines après leur prise de contrôle de l’île pendant la guerre hispano-américaine (1898), la base était à l’origine une station d’approvisionnement en charbon pour les navires de guerre américains patrouillant dans la mer des Antilles. Le pétrole remplaçant le charbon, l’utilité purement logistique de la base recule, au profit d’une autre. Avec la révolution cubaine, la base devient le symbole de la détermination américaine à faire pression sur Fidel Castro. Dans les années 1990, Guantanamo a servi de centre de détention pour les Haïtiens et les Cubains interceptés en mer alors qu’ils cherchaient à rallier les Etats-Unis. L’administration Clinton ne souhaitait pas les amener sur le sol américain où ils pourraient demander l’asile politique. Les années 2000 sont celles des «combattants illégaux» capturés en Afghanistan et ailleurs, dans le cadre de la guerre mondiale contre le terrorisme. L’heure est aujourd’hui à la période post-11 septembre. Depuis que Raul Castro a remplacé son frère à la tête du pays, les Etats-Unis ont renforcé leurs installations, pour accueillir jusqu’à 10 000 réfugiés. Cela dit, les propositions de recyclage de la base ne manquent pas. Peter Hotez, directeur du département de médecine tropicale de l’université George Washington, a proposé de convertir la prison en centre de recherche international consacré au développement de vaccins et de traitements pour certaines maladies tropicales qui affectent durement les populations d’Amérique latine. Dans le même ordre d’idées, Larry Birns, directeur de l’ONG Council on Hemispheric Affairs, estime que la base pourrait servir à instaurer une collaboration dans le domaine médical. Un projet commun pourrait permettre de trouver une solution à l’un des principaux problèmes de la médecine cubaine : l’écart entre l’excellente formation des médecins et la vétusté et la rareté des équipements médicaux. Nathaniel Wheelwright, professeur de biologie à l’université Bowdoin, imagine pour sa part la création d’un centre de recherche en biologie, mais aussi celle d’une toute nouvelle économie fondée sur la richesse écologique de la région de Guantanamo et s’inspirant du modèle de l’écotourisme au Costa Rica.
Dans un tout autre registre, d’autres propositions veulent faire de Guantanamo une destination réservée non pas aux réfugiés et à des criminels internationaux, mais aux fonctionnaires et aux chefs d’Etat. Karen Greenberg, directrice du Centre sur la loi et la sécurité de l’université de New York, suggère de convertir le centre de détention en une sorte de site permanent destiné à accueillir des rencontres entre représentants de différents pays -dont les relations sont parfois tendues- afin d’aborder toutes sortes de sujets. Un lieu où pourraient se tenir des réunions secrètes sans avoir à craindre les fuites et la présence indiscrète des médias.
Enfin, quelques voix, à l’instar de celle de Julia Sweig, du think tank Council on Foreign Relations, estiment que la base devrait revenir sous l’autorité cubaine. La rétrocession de Guantanamo amadouerait La Havane et permettrait de rétablir le contact entre les deux gouvernements. Les spécialistes des relations américano-cubaines estiment que la conjoncture est favorable à un relâchement des tensions entre les deux pays.
Quelle justice reste-t-il ?
Parmi les nombreuses organisations critiquant les dérives des Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme, Amnesty International continue de réclamer justice et réparation. Les violations aux droits de l’Homme comprennent des disparitions forcées, des actes de torture et d’autres formes de traitements cruels, inhumains ou dégradants à la suite desquels des personnes sont parfois mortes en détention. Or, depuis que le président Obama a pris ses fonctions de nouvelles informations sont apparues concernant des atteintes aux droits humains infligées à des détenus sous le mandat de son prédécesseur, qui ont déclenché un débat sur la question de la responsabilité, notamment sur la question de savoir si des enquêtes et des poursuites devaient être menées. Le nouveau gouvernement n’a lancé aucune mesure visant à ouvrir des enquêtes et à poursuivre en justice les responsables de ces agissements.
AI a donc appelé le nouveau gouvernement et le Congrès à non seulement combattre les violations qui continuent d’être commises, mais à rechercher la vérité et sur les violations commises dans la passé.
Aux termes du droit international, les Etats-Unis doivent enquêter sur toutes les violations des droits humains et déférer à la justice les responsables présumés de ces actes, quel que soit le poste, actuel ou ancien, occupé par ces derniers.
Les victimes, leurs familles et l’ensemble de la communauté internationale réclament la vérité, les faits, les causes, les circonstances dans lesquelles ces actes et les crimes ont été commis. Ils réclament que les auteurs soient désignés et que justice soit faite. Ils réclament, enfin, des indemnisations, une restitution, une réadaptation, une réhabilitation et des garanties de non-répétition. La lutte contre le terrorisme est une étape. D’autres guerres contre d’autres ennemis continueront d’alimenter les relations internationales. Si aucune mesure forte n’est prise au niveau des instances juridiques internationales, la guerre mondiale contre le terrorisme servira de précédent.